Par: Stéphanie Boutin
Le 5 juin 2018, la Chaire de recherche Antoine-Turmel sur la protection juridique des aînés et la Chaire de rédaction juridique Louis-Philippe-Pigeon ont organisé une table ronde sur la vulnérabilité réunissant cinq intervenants.
La première séance de travail était consacrée à la protection des personnes âgées en situation de vulnérabilité sous l’angle du droit québécois, allemand et japonais.
La professeure Christine Morin de la Faculté de droit de l’Université Laval, titulaire de la Chaire Antoine-Turmel, a présenté les différentes mesures de protection des personnes âgées prévues par le droit québécois. Les régimes de protection (curatelle, tutelle et conseiller au majeur) permettent d’assurer la protection de la personne devenue inapte, notamment à la suite « d’un affaiblissement dû à l’âge qui altère ses facultés mentales ou son aptitude physique à exprimer sa volonté » (article 258 du Code civil du Québec). Lorsqu’un régime de protection est mis en place, la personne protégée perd l’exercice de ses droits, ce qui pourrait contrevenir à la Convention relative aux droits des personnes handicapées des Nations Unies, ratifiée par le Canada en 2010. La protection des personnes âgées est également assurée par la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, en particulier son article 48 qui prévoit que toute personne âgée ou handicapée a droit d’être protégée « contre toute forme d’exploitation » et a « droit à la protection et à la sécurité que doivent lui apporter sa famille ou les personnes qui en tiennent lieu ». Depuis l’an dernier, la Loi visant à lutter contre la maltraitance envers les aînés et toute autre personne majeure en situation de vulnérabilité prévoit des mesures favorisant la dénonciation des cas de maltraitance.
Le deuxième intervenant, le professeur Günter Reiner de la Helmut-Schmidt-Universität de Hambourg, a présenté ses observations sur le droit privé des personnes âgées en Allemagne. L’article 25 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne reconnaît « le droit des personnes âgées à mener une vie digne et indépendante et à participer à la vie sociale et culturelle ». La Loi sur les établissements pour personnes âgées et handicapées interdit aux établissements de recevoir des avantages pécuniaires. L’exploitation des personnes âgées est par ailleurs sanctionnée de différentes façons par le droit commun allemand (ex. : nullité pour violation des bonnes mœurs, annulation pour tromperie, devoir de renseignement, contrôle des clauses abusives, principe de bonne foi (contrôle d’équité)). En Allemagne, la représentation n’intervient que si elle est indispensable. Plus souple, le régime de l’assistance aux majeurs incapables ou inaptes (Betreuung) tente de répondre aux objectifs suivants : 1) un maximum d’autonomie personnelle; 2) la préséance de la libre volonté de l’assisté et 3) la proportionnalité (nécessité, ultima ratio, pesée d’intérêts). L’approche du droit allemand semble ainsi plus conforme aux exigences de la Convention relative aux droits des personnes handicapées des Nations Unies, en protégeant au maximum l’autonomie personnelle de la personne inapte.
Le troisième intervenant, le professeur Kazuma Yamashiro de l’Université Waseda à Tokyo, a présenté les hésitations du droit japonais quant à la voie à suivre pour mieux protéger les personnes âgées, dans le respect des exigences imposées par la Convention. Comme le Québec, le Japon privilégie le système classique des mesures catégorisées (ou régimes de protection) et le modèle de la décision substituée. Certains auteurs se montrent favorables à ce que le Japon adopte le modèle allemand de la décision assistée, qui préserve davantage l’autonomie décisionnelle de la personne inapte. Il est également envisagé d’assouplir quelque peu le système classique des régimes de protection, comme l’a fait le Québec.
La deuxième séance de travail a permis d’aborder le thème de la vulnérabilité dans une perspective plus large.
La professeure Christine Vézina de la Faculté de droit de l’Université Laval a dénoncé la marginalisation des droits économiques, sociaux et culturels en droit québécois et canadien, au détriment de groupes en situation de très grande vulnérabilité. La Charte canadienne des droits et libertés ne reconnaît pas les droits économiques, sociaux et culturels, bien que le droit à l’égalité, protégé par son article 15, puisse potentiellement être développé en ce sens. Les articles 39 à 48 de la Charte québécoise, qui garantissent les droits économiques et sociaux, n’ont pas de valeur supra législative, à la différence des droits civils et politiques garantis par ses articles 1 à 38. En 2016, l’évaluation des mesures de mise en œuvre du Pacte international sur les droits économiques, sociaux et culturels permettait de constater que les prestations d’aide sociale demeurent trop faibles dans toutes les provinces canadiennes. La Stratégie canadienne pour le logement, annoncée récemment par le fédéral, ne répond pas non plus aux exigences de ce pacte.
La professeure Christelle Landheer-Cieslak de la Faculté de droit de l’Université Laval a su maintenir l’intérêt de l’auditoire jusqu’à la toute fin, avec ses réflexions juridiques et éthiques concernant le consentement aux soins. L’importance attribuée par le droit québécois à l’autonomie du patient et à l’obtention de son consentement libre et éclairé n’est pas sans effet sur la relation thérapeutique entre le personnel soignant et le patient; d’autres aspects essentiels de cette relation, tels que la relation d’aide et la confiance, risquent d’être escamotés. Lorsque le patient ne semble pas apte à comprendre la nature de la maladie pour laquelle on lui propose un traitement, la nature et le but de ce traitement ainsi que les risques de le subir ou non, le juge peut être appelé à se prononcer sur l’aptitude du patient ainsi que sur les traitements requis par son état de santé. Pour cela, il doit souvent se tourner vers l’expertise du médecin traitant. Les exigences élevées en matière de consentement libre et éclairé sont parfois difficiles à porter pour le patient, les proches, le personnel soignant et le juge.
Dans son exposé de synthèse, la professeure Mélanie Samson, cotitulaire de la Chaire de rédaction juridique Louis-Philippe-Pigeon, a relevé que même si la réponse du droit à la vulnérabilité varie d’un système à l’autre, la recherche d’un équilibre entre le respect de l’autonomie et la protection de la personne vulnérable est une préoccupation commune.