Retour sur la conférence annuelle «Un processus législatif hors du commun : la genèse de la Loi sur les soins de fin de vie»

par Anouk Paillet

 

La Chaire a eu le plaisir de recevoir, le 3 octobre 2024, Me Véronique Hivon pour une conférence visant à présenter le processus législatif hors du commun par lequel est passé la Loi concernant les soins de fin de vie. Cette loi, adoptée en 2014, fait du Québec la première province du Canada autorisant et encadrant l’aide médicale à mourir. Au-delà de cet élément notable, cette loi s’illustre par son processus d’adoption faisant intervenir une consultation citoyenne. La présentation de Véronique Hivon, ministre responsable du dossier « Mourir dans la dignité » et à l’origine de ce projet marquant, visait à présenter ce processus législatif particulier. Celui-ci amène à réfléchir sur la manière d’intégrer davantage la participation citoyenne dans le processus législatif. 

Mué par la volonté de rapprocher les citoyens et citoyennes de l’institution politique, Véronique Hivon a lancé en 2009 l’idée d’une consultation citoyenne sur la question des soins de fin de vie. A l’époque, les débats avaient été relancés par le Collège des médecins. Celui-ci venait de déposer un rapport évoquant les limites auxquelles les médecins faisaient face et exprimant un besoin d’aller plus loin pour l’accompagnement des patients. Cela avait ensuite mené à certaines prises de paroles citoyennes. Ces appels à l’action ont incité les élus et le législateur à se saisir de cette question sensible et tenter de répondre aux besoins de la société.

Une motion, déposée par Véronique Hivon à l’Assemblée nationale et acceptée par tous les partis, a permis la création de la Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité en décembre 2009. De ce fait, un travail en deux temps a été mis en place pour permettre de sonder les Québécois et Québécoises non seulement sur l’aide médicale à mourir mais sur l’ensemble des questions reliées à la fin de vie, tels que l’accompagnement ou les soins palliatifs.  L’objectif de la démarche était de tenir une consultation ouverte aux personnes et aux groupes intéressés, et ce, avant même la rédaction d’un projet de loi. Un document d’orientation a d’abord été établi, celui-ci permettant de présenter les principales questions à aborder. Puis la tournée de consultation a été lancée. La Commission s’est déplacée dans huit villes du Québec et une consultation en ligne a également été ajoutée. 

Le processus fut long. Des centaines de personnes ont été entendues. Des périodes de micro-ouverts ont été prévues à la fin des journées d’audition pour laisser la possibilité à des personnes de venir s’exprimer sans avoir signifié leur intention d’intervenir à l’avance. Le choix a été fait de consacrer le temps requis afin de prendre le pouls de l’opinion publique sur ce sujet éminemment délicat. Par la suite, les membres de la commission ont tenu 52 séances de travail. La commission a déposé son rapport à l’Assemblée nationale, en mars 2012. Il contient de nombreuses recommandations dont la reconnaissance d’un droit aux soins palliatifs et l’ouverture à « l’aide médicale à mourir ». 

Après l’élection du Parti québécois en septembre 2012, Véronique Hivon est nommée ministre des Services sociaux et à la Protection de la jeunesse avec comme objectif le dépôt d’une loi dans un délai d’un an. Le projet de loi n° 52, Loi concernant les soins de fin de vie, est déposé le 12 juin 2013. Il donne lieu à des consultations particulières et suit le processus législatif, sans cependant être adopté. Malgré la défaite du Parti québécois aux élections en avril 2014, le projet est repris par M. Gaétan Barette, le nouveau ministre de la Santé et des services sociaux. Le projet de loi, déposé en mai 2014, conserve le même numéro et le même titre que le précédent. Il est exceptionnellement présenté par la députée Véronique Hivon et le ministre Gaétan Barrette. La Loi concernant les soins de fin de vie est finalement adoptée le 5 juin 2014. 

Par son contenu, cette loi offre une ouverture bien plus large qu’à la seule question de l’aide médicale à mourir. Elle porte véritablement sur l’ensemble des soins de fin vie, incluant ainsi les soins palliatifs (article 3, 3°) auquel une place importante est faite dans la loi. Cela la singularise des autres lois traitant de cette question ailleurs dans le monde. 

Malgré une période très polarisée, cette loi est le témoin d’une collaboration étroite qui a su régner entre parlementaires durant l’ensemble du processus. Un signe évident en est la survie de cette loi au changement de gouvernement survenu en avril 2014. Les différents partis ont su dépasser leurs oppositions pour donner corps à cette loi dont le besoin se faisait sentir dans la société québécoise. Cette démarche transpartisane est l’un des facteurs de succès de cette loi, auquel s’ajoute la large consultation qui a été menée. A tout cela, il faut également ajouter le temps pris pour mener à bien ces travaux. 

Le contenu d’une loi est fondamental mais le processus pour réussir à son adoption compte également tout autant, en particulier pour les lois porteuses de tel changement social.  

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