Par: Michelle Cumyn
Les animaux sont-ils des biens?
Le 4 décembre 2015, l’Assemblée nationale a adopté la Loi visant l’amélioration de la situation juridique de l’animal (projet de loi 54). Cette loi comprend diverses mesures afin de faire cesser la maltraitance envers les animaux. Son premier article modifie le Code civil du Québec pour y introduire la disposition suivante :
898.1. Les animaux ne sont pas des biens. Ils sont des êtres doués de sensibilité et ils ont des impératifs biologiques.
Outre les dispositions des lois particulières qui les protègent, les dispositions du présent code relatives aux biens leur sont néanmoins applicables.
Le ministre Pierre Paradis avait accusé le Code civil de considérer l’animal comme un bien meuble soumis à la toute-puissance de son propriétaire : « ça veut dire que, techniquement, tu peux lui donner un coup de pied ou lui scier une patte ». Le ministre a déclaré vouloir faire cesser cette assimilation (La Presse canadienne, le 6 août 2014, voir: ici.radio-canada.ca/nouvelles/societe/2014/08/06/001-animaux-biens-meubles-quebec-protection-legale.shtml).
Le nouvel article 898.1 introduit le Livre 4 intitulé « Des biens », ce qui lui confère une place de choix dans l’architecture du Code civil. Outre sa valeur symbolique, quels en sont les effets juridiques ?
Lors d’un atelier organisé le 19 janvier 2016 par la Chaire de rédaction juridique Louis-Philippe-Pigeon, Me Pierre Charbonneau, ancien légiste au ministère de la Justice, et Mme Gaële Gidrol-Mistral, professeure au département des sciences juridiques de l’UQAM, ont présenté leurs observations à propos de cet article, lançant une discussion animée parmi les universitaires et les légistes présents.
Sans aucun doute, la reconnaissance d’un statut juridique particulier est un pas important qui permettra au droit civil de mieux protéger les animaux, en modulant notamment les droits de leur propriétaire, qui devra tenir compte de leur sensibilité et de leurs impératifs biologiques propres.
La phrase introductive de l’article 898.1 soulève toutefois des interrogations. Suivant la logique du droit civil, les catégories juridiques – comme celle de bien – sont des abstractions qui ont pour fonction d’assujettir les objets qu’elles désignent aux règles juridiques correspondantes. Il est donc contradictoire d’affirmer que les animaux ne sont pas des biens, pour les assujettir ensuite aux dispositions sur les biens. La Loi visant l’amélioration de la situation juridique de l’animal le traite elle-même comme un bien, puisqu’il y est question de la propriété, de la garde et de la saisie de l’animal.
Si les animaux ne sont pas des biens, à quelle catégorie fondamentale du droit civil pourraient-ils appartenir? L’animal pourrait-il être considéré comme une personne? S’il est doté d’une sensibilité, a-t-il une conscience? Pourrait-il engager sa responsabilité civile ou pénale? Serait-il mi-personne, mi-bien?
En France, l’article 515-14 du Code civil, adopté en février 2015, déclare : « Les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. Sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens. » Les animaux y sont donc toujours considérés comme des biens.