Par: Michelle Cumyn
Tous s’entendent pour dire que les lois, les règlements et les contrats doivent être lisibles. Mais de quelle lisibilité parle-t-on, et pour qui? Quelles sont les contraintes, dans le travail des légistes, qui rendent difficile l’atteinte de cet objectif?
Le 11 décembre 2017, un atelier organisé conjointement par la Chaire de rédaction juridique Louis-Philippe-Pigeon et par le groupe Accès au droit et à la justice (ADAJ) a été consacré à ce thème. L’atelier a donné lieu à des échanges fructueux entre légistes et universitaires.
Le professeur Felix Uhlmann, de l’Université de Zurich, a d’abord présenté les résultats d’une étude expérimentale comparant la lisibilité de trois formulations différentes d’une même norme. Me Françoise St-Martin, légiste au gouvernement du Québec, et Me Roxanne Guérard, légiste au gouvernement fédéral, ont ensuite partagé leurs réflexions sur la lisibilité des lois et des règlements et sur les contraintes du travail de légiste. Enfin, le professeur Pierre Issalys a présenté les travaux qu’il dirige sur la lisibilité des lois et des contrats, dans le cadre du projet ADAJ.
L’étude du professeur Uhlmann porte sur la Loi sur les résidences secondaires suisse. Cette loi vise à freiner la prolifération des résidences secondaires, dont plusieurs demeurent inoccupées pendant une grande partie de l’année. Une disposition de la loi qui comporte un calcul mathématique et qui est particulièrement difficile à comprendre a été critiquée dans les médias. D’autres formulations ont été proposées pour remplacer ce « paragraphe monstre ». Le professeur Uhlmann et ses collègues ont vérifié empiriquement la lisibilité de trois versions de cette disposition, soit sa formulation officielle et deux tentatives de reformulation, auprès d’étudiants en droit. L’étude a démontré que l’insertion dans la loi d’une explication quant à la raison du calcul en améliore la compréhension et réduit le risque d’erreurs dans l’application de la norme.
Dans le même sens, d’autres intervenants ont souligné que la connaissance de l’objet de la loi la rend plus intelligible et en facilite l’interprétation. Toutefois, il faut savoir être prudent. Une déclaration d’objet trop explicite ou trop précise peut nuire à l’interprétation évolutive de la loi ou devenir un obstacle si sa constitutionnalité est contestée. Lorsque la loi est laconique quant aux objectifs poursuivis, les notes explicatives qui l’accompagnent jouent un rôle utile. Différentes mesures sont envisagées pour rendre ces notes plus faciles d’accès sur le Web.
La question de la lisibilité des textes juridiques est indissociable de l’auditoire visé. L’étude du professeur Uhlmann propose une distinction entre la lisibilité a priori, qui permet au non-initié d’obtenir une idée générale du sens de la norme; la lisibilité d’application, qui favorise sa mise en œuvre dans un cas concret; et la lisibilité a posteriori, qui facilite le rappel de la norme pour la personne déjà familière avec celle-ci.
Il semble important qu’un texte de loi puisse être lu et compris par les citoyens, surtout en Suisse où la loi peut être soumise au référendum. Les légistes québécois et canadiens ont à l’esprit le ministre qui devra présenter le projet de loi et les députés qui devront en débattre. Enfin les lois, et particulièrement les règlements, sont souvent rédigés à la demande des fonctionnaires chargés de leur application. Ces derniers souhaitent que le cadre réglementaire soit le plus complet et détaillé possible. Ils préfèrent le voir consigné en un seul instrument, quitte à y réitérer des normes qui sont déjà prévues ailleurs. Une telle approche nuit à l’économie dans l’énonciation des normes et au choix du véhicule approprié (loi générale, loi particulière, règlement, guide d’application).
Peu d’études à ce jour ont cherché à comprendre comment les justiciables appréhendent les lois et les contrats auxquels ils sont soumis. C’est ce que voudraient mettre en lumière les recherches sur la lisibilité des lois et des contrats menées par les professeurs Pierre Issalys et Pierre Noreau dans le contexte du projet ADAJ, en partenariat avec plusieurs organismes, dont la Chaire de rédaction juridique Louis-Philippe-Pigeon. L’équipe de recherche a choisi de se pencher sur le secteur des services funéraires. Une enquête de terrain sera menée auprès de consommateurs et de représentants de coopératives funéraires, ce qui permettra de mieux connaître leur perception du cadre juridique et d’évaluer l’intelligibilité du contrat-type de services funéraires, dont certaines clauses sont imposées par la loi.
Pour plus d’information : chantier4adaj.openum.ca
Stefan Höfler, Felix Uhlmann et Adrian Boxler, „Der «Monster-Paragraf» – wie (un-)verständlich ist er wirklich?“ LeGes 2017/1, p. 97-107.