8e conférence publique de la Chaire : « L’acte notarié : un écrit rédigé sous la forme d’une narration »

Par: Anouk Paillet

À titre de rédacteur d’actes, le notaire use d’un style particulier qui peut être qualifié de narratif. Ce style le distingue des autres membres de la communauté juridique qu’il s’agisse du juge, de l’avocat ou du légiste. Fort de cette constatation, le professeur émérite François Frenette est venu livrer ses réflexions quant aux questions qu’une telle qualification peut poser, lors d’une présentation intitulée « L’acte notarié : un écrit sous la forme d’une narration » à l’occasion de la huitième conférence publique de la Chaire de rédaction juridique Louis-Philippe-Pigeon, le 17 mai 2022.

Le style narratif du notaire lui vient de son rôle. Originellement, il était un scribe, traduisant la parole sur papier par des signes lisibles. Il a ensuite peu à peu acquis la qualité de juriste et le statut d’officier public lui permettant d’ajouter respectivement à ses écrits les caractéristiques propres aux actes transcrits ainsi qu’une force probante tout en conservant sa mission de recueil et de traduction de la parole. En observant de plus près la manière dont s’y prend le notaire, il s’apparente au narrateur d’une histoire, bien que cela prenne une forme plus simplifiée. Il commencera toujours à raconter un évènement en donnant la date et le lieu puis en identifiant les parties ainsi que la nature de l’acte en question. De ce fait, il prêtera la parole aux parties mais toujours par le biais de sa voix. Pour mener à bien son récit, pour réussir à livrer de façon complète ce qui a été conclu par les parties, le notaire use fréquemment de formules et de modèles. Cette pratique pose plusieurs questions en regard de son style narratif. C’est de ces enjeux dont a traité le professeur François Frenette.

Ce style narratif correspond-il vraiment à ce que l’on perçoit du style notarial ? L’utilisation de modèles par le notaire peut mener à qualifier, à tort, son style de formaliste. Cela revient, en réalité, à confondre « style de pratique » et « style de rédaction ». Toutefois, cela implique de se demander si cette habitude de pratique ne prive pas le notaire de toutes les libertés que le style littéraire narratif lui accorde.

Ce style narratif permet-il de rejoindre le résultat que l’on attend des actes du notaires ? Le style narratif permet au notaire de s’arrêter n’importe quand dans son récit pour y ajouter les faits pertinents. C’est pourquoi, ce style de rédaction est utile pour remplir le rôle assigné à l’acte notarié. La forme narrative n’incite pas à l’invention ; au contraire, elle permet de retransmettre sans altérer la réalité, tout en gardant une certaine gravité d’expression. Même lorsqu’il recourt à des modèles, le notaire n’est pas obligé de s’y cantonner. C’est pourquoi, le style narratif garde ici tout son intérêt, malgré l’aide apportée par les modèles.

Le recours fréquent aux formules et aux modèles peut-il être source de difficultés ? Le recours systématique aux modèles pose problème. Par cela, le notaire s’expose à plusieurs dangers. Le notaire n’est pas maître de la structure de l’acte et du vocabulaire utilisé. Cela le prive alors d’un certain discernement en cas de modifications. Par ailleurs, il y a un risque de choisir le mauvais modèle pour le but à atteindre. Il s’agit du cas le plus fréquent que l’on retrouve en jurisprudence. Le notaire se trompe et le client ne s’en rend pas compte mais cela remontera tôt ou tard à la surface. Également, en certains cas, le notaire est face au danger de se voir privé de la faculté de modifier un seul iota du modèle d’acte. Certaines institutions financières profitent de cette pratique pour transmettre au notaire les actes entièrement rédigés selon leurs propres modèles à la seule fin d’obtenir une authenticité. Cela conduit le notaire à enfreindre son obligation légale de représentation égale des deux parties. Enfin, le danger le plus grave est celui, pour le notaire, d’assimiler son rôle de rédaction au seul fait de remplir des blancs. Mais sur ce point, il n’est pas seul en faute car une faille s’est glissée dans la Loi sur le notariat qui ne met l’accent que sur sa mission de réception des actes et ne précise nulle part qu’il assume également un rôle de rédacteur. La Loi du notariat met tant d’emphase sur la qualité d’officier public et si peu sur le rôle de conseiller juridique du notaire que cela pose problème à un autre égard. On ne perçoit pas le conseil apporté par le notaire en amont alors qu’il est aussi, sinon plus important, que le simple fait de traduire le résultat en écrits appropriés.

Vous pouvez retrouver la vidéo de cette conférence sur la Chaine YouTube de la Chaire : https://www.youtube.com/watch?v=wg9ywtZbZNs 

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